La recherche de l'égarée

Les yeux d'abord fixés sur l'épée, je relève mon regard vers le jeune homme, légèrement rossisante - la dernière phrase de la vieille femme me revenant en mémoire... Pas difficile de deviner de qui il s'agit.

- Je suis Xiao Guang, mais mon nom ne t'apportera rien d'intéressant, car je suis nouvelle en ville. Je sais que tu as sur toi les meilleures herbes de la région, et j'en ai besoin pour soigner ceux qui pourraient avoir besoin de mes services. Il me reste quelque argent de l'ennemi que je pourrais te remettre contre ces herbes. A moins que tu n'aies des talents de médecine, tu en auras moins utilité que moi, tout comme je n'ai que faire de cet argent, l'échange me parait donc honorable.

- Ho ho ! plaisanta l'homme au visage effectivement séduisant et qu'est ce qui m'empêcherait de tout prendre à l'heure actuelle ? Mmmh ? Puisque tu possède "l'argent de l'ennemi", je me demande bien comment tu as fait pour te le procurer...

La nuit était tombée sur le quartier défavorisée de Jilin, lorsque les occupants de la maison Pang entendirent distinctement une voix souffler

- Il est là, chez la mère Pang.

Quatre silhouettes indistinctes coururent avec une vitesse phénoménale devant la maison. La rue n'étant qu'éclairée que par la lune, il était difficile de prévoir leur visage

- Tiens tiens et comme par hasard, voici de la compagnie ! Fillette, notre relation commence sous de mauvais auspices...Je te laisserais une chance après avoir rossé ces pleutres...Ne désespère pas.

Vexée, je ne réponds pas au "fillette" mais me contente de lui tourner le dos, barrant le pas de la porte de la maison, en mettant Petit Renard derrière moi, pour qu'ils ne soient pas vus des arrivants, interdisant l'entrée à ces derniers, la sortie à l'homme en noir.

Je dégaine mon Yue Ye Chan que je pose contre le mur comme un vulgaire balai, pour être prête à m'en servir si notre voleur au grand coeur doit effectivement se battre à un contre quatre. Je ne suis pas une grande guerrière mais je ne saurai laisser un combat aussi inégal avoir lieu sans intervenir.

Les bras croisés, j'attends les hommes. Dès que je vois leur visage, je crie fort :

- Qui va là ?

Ce n'est qu'à ce moment que je me dis que, une fois encore, je n'ai guère pris la décision la plus sage...

Avant que la voix de la jeune fille ne porte, l'audacieux wuxia s'était déjà jeté dans la bataille....
D'un saut périlleux, il s'élança au centre de la rue et fendit l'air de son épée qui fût évité de justesse par son adversaire.
La lame s'arrêta à la hauteur de sa joue et d'un mouvement de poignet de son propriétaire gifla le visage de l'homme vêtu d'un costume ample qui semblait familier à la Xiao Guang, bien qu'elle ne puisse le distinguer clairement.

Prenant appui sur l'épaule de son adversaire, le redresseur de tort effectua un autre saut d'une hauteur phénoménale qui le projeta sur les toits des maisons....

- Alors vous venez ? ajouta t-il en prenant une posture désinvolte, à l'adresse de ses quatre adversaires.
Ni une, ni deux, les silhouettes répondirent à la provocation en lui suivant sur les hauteurs de la ville avec une aussi bonne maîtrise du Wugong de légèreté que lui.
Virevoltant et frappant du pied et de l'épée pour briser le cercle qui se refermait sur lui, il semblait de plus en plus évident à Xiao Guang, que le wuxia cherchait à se mettre le plus près possible de la lumière de la lune pour rester le plus en vue possible des témoins de la scène qui commençait à affluer...
La jeune fille se troubla soudain en regardant ses adversaires frapper : ils semblaient utiliser le Poing des deux Fleuves, un art martial destiné avant tout à neutraliser l'agresseur, pratiqué par les moines bouddhistes dans certains monastères....A y bien regarder, il s'agissait bien de quatre moines !

Esquivant un coup de bâton en se laissant tomber sur le dos, le wuxia au sol captura l'arme entre ses jambes et fît basculer son propriétaire en bas des murets, sous les ovations de la foule, à qui il adressa un geste triomphant, avant d'esquiver de justesse un moulinet vrombissant donné par un second moine...Les éclairs d'acier de l'épée du guerrier fendaient la nuit à un rythme effréné, tournant et virevoltant dans un style très spectaculaires qui laissaient peu de répit à ses adversaires, qui tenaient malgré tout les assauts....

- Pas encore fatigués ? lança t-il à ses "compagnons de jeu"

Je ne comprends plus rien. Pourquoi des moines bouddhistes s'attaqueraient-ils à un homme de cet accabit ? L'hésitation m'empêche d'agir dans l'un ou l'autre sens, et de toutes façons je ne suis pas assez douée au combat pour participer à celui-ci... Mais le fait que le voleur se mette en valeur alors qu'il ridiculise ses adversaires m'exaspère quelque peu. Il recherche la gloire... Cependant, il a les herbes et je dois l'attendre. Mais après la rixe, il ne saurait rester ici, il s'enfuiera sans aucun doute et je devrais le retrouver ailleurs... Demain... En attendant, j'ai mieux à faire que de le regarder se pavaner.

Je rentre dans la demeure des Pang. Les parents sont dehors, regardant le combat. Je ne peux soigner le malade sans leur permission - je n'ai donc finalement rien de meiux à faire que regarder. Et bien soit, je ne ferai rien.

Je m'asseois contre le mur, près de mon arme, en tailleur, et observe sur le visage des curieux l'avancée du combat.

Il y a deux choses importante dans un combat : le mental est la première, et la gestion de son effort est la seconde... Une leçon qu'aurait pu retenir le guerrier, après avoir multiplié les pirouettes sur le toit et les esquives spectaculaires.
Les moines, eux, s'étaient contenté de subir, sans attaquer, mais leur endurance semblait nettement supérieure à celle du jeune homme.
Celui-ci était d'ailleurs commençait à perdre du terrain et arrivait à la hauteur de la muraille, dos contre le mur et visiblement coincé...
Acculé, il prit appui sur le mur des deux pieds, bondit en avant vers ses adversaires, marcha sur la tête du plus grand d'entre eux pour se suspendre à un fanion et se balancer au dessus du vide...
Élégant, fendant l'air avec panache, le jeune guerrier savoura sa seconde d'éternité avant d'entendre le craquement d'étoffe...
Son visage se décomposa, tandis que la moitié du drapeau se déchira et qu'il disparu en hurlant quelques part à travers les fenêtres en papier d'une maison cossue avec fracas...

Les moines, exténué descendirent récupérer leur compagnons et tentèrent de calmer la foule, affolé , avec force salutations courbées...

- A mi tuo fo ! A mi tuo fo ! firent-il en postant leur mains jointes devant leur visage, invoquant le signe rituel de la paix... Nous ne cherchions pas à nous battre. Mes compagnons et moi cherchions un médecin quand cette homme nous a attaqué. On nous a dit qu'une personne pourrait nous aider... Un certain Jin Lang Zi...

Quel imbécile, ne puis-je songer de penser. Et je suis soulagée d'entendre les paroles du moine, ma conception du monde ne s'effondre pas complétement... Je me redresse, et me mets à disposition de leur regard.

- Je suis médecin. Mais je vais d'abord soigner cet homme qui doit avoir mal...

Je récupère mon arme que je range dans mon dos, cherche Petit Renard du regard et l'invite à me suivre puis me dirige vers la maison de papier où le voleur est tombé...

Frottant ses multiples contusions, le voleur essuie rapidement les debris de bois et de poussière qui jonchent son Han Fu troué et tente de se relever sans laisser paraître sa douleur...peine perdue

- Aouch...Tout va bien, tout va bien...Ne t'inquiète pas fillette, je suis ..hug...habitué aux coups. C'est ça la vie d'aventurier...
Je ne voulais pas tuer ces ânes chauves, alors il a bien fallu que je trouve un moyen de leur permettre de garder la face, hé hé...
Les fourbes ont profité que j'ai le dos tourné pour déchirer ce fanion...Mais tout va bien, Jin Lang Zi est bien plus malin que cela...J'ai feint d'avoir été défait pour qu'ils ne s'obstinent pas...Ouch...Pas mal non ?

Il fit un clin d'œil à la jeune fille...

- Qu'est ce qu'une des beautés de Dali vient faire parmi nous , mmm ? Tu n'as quand même pas fait tout se trajet pour me voir mm ?

"une beauté" ? Instinctivement, je me retourne pour savoir si une fille m'aurait suivie... Je vois que non. C'est donc à moi qu'il parle ? Je me mets à rougir. Ce devrait être de colère - je me prépare à la prêtrise, après tout - mais je me sens bien obligée qu'il n'y a pas une once de colère en moi... Bien au contraire.

Je me dirige vers lui et l'oblige à s'allonger. Je palpe ses muscles et ses os pour voir s'il n'y a rien de cassé dans un premier temps, et repérer les contusions - faisant fi d'une pudeur nouvelle qui me commande de rester éloignée de lui - tout en disant :

- Vous n'êtes pas observateur, ni assez patient. Ces moines n'en avaient pas après vous, ils cherchaient un médecin. Si vous m'aviez laissé faire, vous n'auriez pas eu à faire le clown devant tout le monde. De plus, il n'ont pas du tout déchiré la bannière, votre poids a suffit à avoir cet effet-là. Et non, je n'ai pas fait tout ce trajet pour vous rencontrer - pour cela j'ai juste eu à parcourir le quartier, parce que j'ai besoin de recouvrer mon réservoir de plantes médicinales pour soigner ceux qui ont besoin de ma science. Et non, je ne suis pas une beauté - et jamais on ne pourra m'appeler ainsi, je le sais bien, alors je vous prierai juste d'éviter mes moqueries à mon égard, elles sont blessantes.

Car oui, il ne peut sagir que d'une moquerie. J'y ai cru quelques secondes, mais cela n'a pas de sens.

Devant la gêne de la jeune fille, le voleur se frotta la tête avec gêne...

- Enfin non, je ne me moq... commença t-il avant d'apercevoir la brûlure Ecoutes, je suis désolé, c'est...heu..involontaire d'accord ? Et puis, je suis poursuivi, alors forcement, je me méfie...Tu peux comprendre ça ? [i] dit-il doucement en posant sa main sur le visage de Xiao Guang avant de s'apercevoir de la présence de Xiao Hu Li et de reprendre un air martial. [i] Mais je vais te les rendre tes plantes, de toutes façon, je ne sais pas m'en servir...J'ai tout mis dans ce sac.

Alors qu'il prend mon visage entre ces doigts, je sens une brûlure - mais pas de feu, celle-là - m'enflammer et je me recule avec plus de brusquerie que je n'aurais voulu. Jamais on ne m'avait touchée... Ce n'était pas déqagréable, peut-être génant... ou trop plaisant. En fait, je me rends compte que j'ignore quels sont mes sentiments précis et cela me laisse encore plus perdue... Je reste quelques secondes pantoises avant de me relever :

- Vous allez bien. Vous pourrez continuer vos pitreries, mais soyez plus prudent la prochaine fois...

Je sors la bourse de l'officier.

- Tenez, pour les plantes. Ou même pour rien, vous en aurez meilleur utilité que moi, je l'espère.

Je prends le sac, m'apprête à partir, tourne le dos, m'arrête, tournant mon visage à demi - le côté indemne - et réponds :

- Non, je ne comprends pas. Je ne sais pas grand chose du monde, mais il doit être bien triste si on doit s'y méfier même de moines bouddhistes, et les attaquer sans raison... Je crois que ton monde est encore bien plus triste que le mien, qui ne connais rien aux caresses, mais peux vivre sans méfiance.

Puis, sauf s'il m'arrête, je sors de la maison pour retrouver les moines qui m'attendent.

L'homme contemple un instant la bourse, agite la tête avec une mou satisfaite en pesant son contenu et n'a guère le temps de retenir la jeune femme.
Dehors les moines sont aux prises avec les villageois qui leur sont résolument hostiles. La voix du Jin Lang Zi retentit alors dans la nuit, tandis que les clameurs cessent et que tout se retourne.
Le wuxia, aussi poseur qu'à son habitude , un pied sur le petit muret de la maison vide dont il avait traversé la paroi quelques minutes tôt continua

- Tout le monde se calme...Je n'ai évidement aucune égratignure et ces messieurs sont peut-être chauves, mais ils n'en demeurent pas moins pacifiques...Hum... s'interrompit-il en s'apercevant que sa phrase n'avait aucun sens, ce dont la foule se moquait éperdument, tant elle était heureuse de revoir son héros , qui sauta gracieusement sur le sol Apparemment, vous me cherchiez pour une meilleure cause que les chasseurs de prime habituels, parlez sans crainte...

Le premier moine, légèrement agacé par le fanfaron lui répondit assez séchement

- Je crains que vous ne puissiez nous venir en aide...Nous cherchions un médecin...Un médecin de talent, pour un grave empoisonnement...

La foule réagit immédiatement

- Un empoisonnement dites vous ? De l'un d'entre vous ? J'avais quelques produits à ma disposition mais...je les ai donné à une jeune fille dans la détresse, récemment...Peut-être est elle encore...Ha ! La voilà ! fit-il en désigna Xiao Guang .

Le second moine leva les yeux au ciel...

- Elle n'est pas dans le besoin, elle EST médecin ! Elle l'a dit tout à l'heure.

- Oui, je l'ai dit car c'est vrai.

Je m'avance, et salue très respectueusement les moines.

- Je vous suis là où vous avez besoin de moi.

Je me tourne vers Jin Zang Li :

- Merci pour votre don, je m'en servirai au mieux.

Puis je m'incline pour le saluer à son tour, et me tourne vers ceux qui m'appellent.

- Hors de question de vous laisser partir sans la protection d'un homme de justice...Je viens avec vous !

- Chouette ajouta Xiao Hu Li, excité à l'idée de partir avec son héros...

- Il faudra juste que je mette quelques chose de portable...Ce vêtement est déchiré...

- Nous n'avons pas le temps ! pesta un moine

- Ho ho, ça va vous hein...Ce n'est pas parce que vous portez toujours le même chiffon que...Bon d'accord... se résigna le voleur en haussant les épaules...

Profitant de leur connaissances du terrain, la petite troupe parcouru le chemin qui les menaient au monastère sans encombre, et arrivèrent sur place au petit matin.

Je ne réponds rien. Quelque chose en moi me dit qu'il n'est pas nécessaire qu'il me suive, et qu'il serait plus utile dans la cité, mais quelque chose d'autre me fait savoir que j'aimerai qu'il me suive. Je me réfugie dans un silence lâche, en prétextant mentalement qu'il faut laisser faire le destin...