Chronique numéro 1 : Avant la tempête (Cycle de l'Eau)

Arrivée en vue de la forteresse, Lin Xiao Yu avait demandé une halte à sa petite troupe. Elle s'était alors écartée, dissimulée aux regards, et changée. Elle avait retiré les haillons qu'elle portait sous ses vêtements, revêtu une robe de soie blanche brodée de fils d'or, et un hanfu de fine soie rouge qui annonçait une personne de condition aisée, sans pour autant être aussi encombrant que les véritables habits d'apparat que la jeune femme portait à Dali.



Une fois vêtue selon les convenances, elle se coiffa à l'aide de son petit peigne et de son minuscule miroir, et elle reprit la route de la forteresse sans faire de commentaire. Aucun de ses compagnons ne l'avaient encore vue dans cette tenue, pas même Lu Wu sur le bateau. Mais si elle voulait être prise au sérieux à Tian Chi, il fallait qu'elle apparaisse sous son meilleur jour.

Arrivant aux portes de la forteresse, elle prit son courage à deux mains.
Elle s'adressa à Lu Wu avec un sourire pour atténuer son propos, mais d'une voix ferme :

"– A partir de maintenant, Lu Wu, en public, tu dois m'appeler Dame Lin, comme il sied à mon rang. Si tu souhaites une fois à l'intérieur de la cité être payé et libéré de ton travail, je comprendrai. Si tu préfères continuer à travailler pour moi, je ne te chasse pas. A toi de décider. "

Puis elle s'adressa à Bai Hou :

"– Si tu souhaites être dédommagé pour la peine que tu as prise en nous servant de guide, je te paierai une fois installée dans la forteresse. Tu es un combattant hors pair, et je ne doute pas que les chefs de la résistance trouvent à t'employer si tu te manifestes. Tu seras dans ce cas, je pense, logé et nourri. "

Puis elle chercha des yeux un responsable à qui s'adresser pour entrer dans la ville et parler à un dirigeant.

La raison de la halte avait rendu Lu Wu plutot perplexe vis à vis de Lin. Pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Certes, il était heureux de pouvoir relacher ce foutu sac de riz (c'est que ca pese son poids cette connerie). Patientant tranquillement, il vit alors voir sortir des buisson un ange écarlate. Etrange, cet ange avait le visage de Lin ce qui le troublait tout autant. Alors qu'elle lui donnait les instructions, Lu Wu rougissait mais, fort heureusement, les bandages cachait cela. Elle lui disait de l'appeler "dame Lin" ... dommage, il était habitué à l'appeler simplement Lin. La noblesse et ses codes ...

"Travailler pour vous ? Il faut dire qu'en vous aidant j'ai un peu coupé les ponts avec mes anciens camarades ... Mais bon, si vous pouvez pas vous payer mes services vous pourrez ... euh"

Son esprit eut une pensé loin d'être chaste (mais c'est de son age) avant de bredouiller

"... prendre un crédit hehe bien sur. Et puis c'est pas comme si les généraux manquait de travail"

Bai Hou observa le manège de Xiao Yu.

Jolie tenue, "Dame Lin"... Le ton du singe blanc était sarcastique et les quelques mimiques qu'il fit accentuèrent sa moquerie. Néanmoins, son âme était blessée. La tenue de la jeune femme lui évoqua des souvenirs qui était enfouit et qu'il croyait à jamais oublié. Wang Bao Hua... es-tu vivante ?

Quand à la remarque de Xiao Yu, il lui répondit honnêtement et directement :
Je suis là parce que je l'ai décidé, je n'ai nul besoin de salaire ou récompense.
Comme le vent libre et joueur qui ne peut être entravé je vais et je viens où mes envies me mènent.

Lorsque le groupe reprit sa route, Bai Hou ajouta :
Par contre je ne serais pas contre un bon bain lorsque nous seront arrivé...

Xiao Yu laissa un léger sourire écailler son masque d'autorité à la réaction de Lu Wu.
"– Je serai ravie de profiter encore un peu de ta compagnie. "

Puis, ignorant les sarcasmes de Bai Hou, elle sourit néanmoins à sa dernière remarque :
"– Pour le bain, je pense que je devrais pouvoir arranger ça, s'il n'y a que ça pour te faire plaisir ! Et, bien sûr, si on me donne un logement, tu seras le bienvenu sous mon toit, comme il sied à quelqu'un qui s'est montré généreux de recevoir un juste retour."

Se concentrant à nouveau sur son objectif, la jeune femme repris son examen des lieux : à qui pouvait-elle s'adresser pour trouver un interlocuteur approprié ? Elle était lasse et rêvait elle aussi d'un bon bain, mais son sérieux lui dictait de régler d'abord les questions liées à son devoir.

Nous reparlerons de tout cela lorsque j'aurais décrispé mes muscles dans un bon bain... et que j'aurai put boire de tout mon saoul.

Quand à t'accompagner à l'avenir... pourquoi pas. Tu es de bonne compagnie, et Lu Wu aussi. Enfin, nous en rediscuterons plus tard.

La danseuse regarda avec curiosité la troupe arriver et le blessé qu'on emmenait au dispensaire. Elle s'avança en souriant vers les soldats pour les aiguiller vers le temple. Inutile d'aller au dispensaire, il n'y avait personne qui pouvait s'en occuper.

- Da Han, puis-je me permettre... Le dispensaire est vide pour l'instant, je vous suggère de vous rendre au temple là-bas, dit-elle en désignant à l'officier la bâtisse de pierre un peu plus haut sur le chemin. L'abbé est un homme bon et sage, il vous prêtera assistance.

Elle s'inclina devant eux et s'écarta pour les laisser passer. Resserrant les pans du manteau autour d'elle, elle jeta un coup d'oeil autour d'elle. Le groupe de nouveaux-venus l'intrigua mais elle n'alla pas au devant d'eux. Ils ne souhaitaient peut-être pas être importunés.
Le regard vert les détailla avec attention. Ils venaient de loin et la fille n'était pas d'ici, c'était évident. Et ils avaient l'air d'être passés par des moments difficiles.

Voyant la difficulté que dame Lin avait pour se retrouver dans la forteresse, Lu Wu prend son role de garde du corps au sérieux et s'adresse au premier garde qui passe.

"Hey l'ami, y aurait moyen que tu nous dise où on peut trouver le général Wang ? Ma patrone Dame Lin Xiao Yu souhaite lui parler le plus vite possible"

Disant cela, il pose son sac de riz sur le sol

"On a amené un peu de nourriture avec nous. Même si c'est pas énorme ..."

Wang ??? Bai Hou fut surpris mais il n'en laissa rien paraitre.

Je crois que je vais vous accompagner un peu... Ma curiosité me pousse à vouloir rencontrer ce général.

"– Bien sûr. Encore faudrait-il qu'on réussisse à le trouver. L'organisation ici semble laisser à désirer. "

Lin avait un petit air pincé. Elle était contrariée. Comment pouvait-on trouver un interlocuteur approprié dans cet endroit ?

Le petit homme attarda son regard flou un peu plus longtemps qu'à l'ordinaire sur la danseuse et agita la tête...

- Heu...Oui, oui...Je oui...Mais tout va bien vous savez...Un guerrier sait tenir les coups durs...hé hé... Il se frotta une dernière fois la tête avant de se diriger vers la direction que lui avait indiqué Yu Yan en boitant comme un forcené...

L'arrivée du groupe créa un second mouvement de foule, bien vite dissipé par les gardes environnant qui demandèrent aux nouveaux venus de s'enregistrer...
Celui qu'avait interpellé Lu Wu lui répondit assez fermement mais sans animosité

- Ecoute, voyageur,le général est plus que pris en ce moment et vous n'êtes pas les seuls à être venus trouver refuge ici...
Le général sera informé de votre présence lors du rapport du matin. En attendant, trouvez vous une place : la demoiselle semble être fortunée, mais ici, les règles sont les mêmes pour tous, nous sommes en loi martiale...
Assurez vous de trouver un logement en premier lieu, car les places commencent à manquer.
Pour les doléances, le greffier, Shu shi fu s'occupera de vous...

Lin fit signe à Lu Wu de la laisser parler. Usant de son ton le plus ferme, sans pour autant prendre un air hautain, elle s'adressa au garde.

"– C'est justement parce que vous êtes en loi martiale que je dois voir le Général. Nous ne sommes pas des réfugiés. Nous sommes une délégation venue de Hangzhou de la part du Général Pan, en mission spéciale. Conduisez-moi à votre supérieur, je vous prie. C'est urgent. Je suis fatiguée, mais je refuse de me reposer tant que je n'aurai pas pris contact avec un responsable. De plus, nous avons des nouvelles du convoi de ravitaillement. Bref, nous n'avons pas de temps à perdre.
D'autre part, où pouvons-nous entreposer les sacs de riz que nous avons apportés pour soulager la pression alimentaire sur les réfugiés ? "

Elle espérait que le garde était intelligent et avait enregistré tout ce qu'elle avait dit. Si elle ne se faisait pas connaître maintenant, on la laisserait attendre des jours avant de s'intéresser à elle. Or la forteresse ne pouvait pas attendre des jours.

Le soldat s'inclina devant Lin et parti en direction du bâtiment principal de la forteresse, avec pour intention d'avertir le général.
Plusieurs autres garde s'occupèrent de vider le chargement de riz, tandis que le petit greffier, en robe de lettré, s'approcha du groupe d'arrivant

- Soyez les bienvenus...Je ne sais d'où vous venez, mais la forteresse a grand besoin de ces vivres en ces temps troublés...
La population est inquiète et je ne lui donne pas tort. Je me demande d'ailleurs comment vous avez réussi à franchir le barrage que représente l'armée Jin.

Le regard de Bai Hou se brouilla un instant, comme lors de ses moments d'ivresse lorsqu'il fit passer parmi la foule une de ces beautés que les gravures anciennes parent de tous les atours.
Vêtue d'un costume léger et de bracelets tressautant, ses yeux d'un vert de jade figèrent le temps autours du vagabond qui eu du mal à s'en détacher...Une seconde plus tard, elle s'était fondu dans une foule bruyante et chaotique

"Comment on a fait pour venir ? On est passé par le coin le plus gelé du monde (hyperbole quand tu nous tiens) avec les sacs de riz sur le dos. Plus jamais je referai ça personnellement. Heureusement qu'on a trouvé un abris sinon on se serait transformé en glacon"

"– A ce propos, la surveillance laisse à désirer. N'importe quel espion Jin avec un bon guide pourrait passer. Ça n'est pas très prudent. L'avantage, c'est que de leur côté aussi, la surveillance est molle, donc n'importe lequel de nos espions pourrait sortir. "

Maintenant que quelqu'un était parti chercher le Général, Lin était un peu plus détendue. Elle s'autorisa à observer les lieux, à repérer la construction de la forteresse, ses failles, ses forces, comme un réflexe qu'elle avait acquis en travaillant sur la stratégie militaire.

Elle se tourna vers l'érudit avec un sourire.
"– J'espère que le Général pourra nous fournir la seule chose qui nous a vraiment manqué pendant ce voyage : un bon bain ! Je crois que mes compagnons et moi-même en avons bien besoin. "

Avisant l'air perdu de son compagnon de route, Lin fronça les sourcils.

"– Bai Hou ? Ça va ?" demanda-t-elle, légèrement inquiète. Elle ne pensait pas qu'il ait pu voir un ennemi, ou quelque chose qui les mettrait en danger, mais dans le doute, elle préférait s'assurer que tout était en ordre.

Le singe blanc bafouilla... Bhhh... Euuhh.... Oui... Enfin, je crois... Oui...

"– La fatigue du voyage, sans doute. J'espère que quelqu'un va vite venir nous indiquer un endroit où nous rendre, et que le Général pourra nous recevoir le plus vite possible. Il doit être très occupé, je pense, mais j'espère qu'il pourra nous accorder un moment. "

Le messager revint cinq ou six minutes plus tard, porteur d'une invitation calligraphiée scellée par le général Wang...
Cette manière très protocolaire signifiait que l'officier prenait la chose au sérieux, mais leur accordait également le temps de se reposer : en effet, un bâtiment à un étage, nouvellement construit leur avaient été immédiatement attribué.
La nouvelle fit sensation dans la cour, et la foule curieuse tenta plusieurs approches vers les nouveaux venus, espérant sans doute glâner quelques "bons points" pour le futur...

- Qing, qing...Prenez un de mes gâteaux de blé, guniang...

- Lai, lai, lai...Un verre de bai jiu, ça ne peut que revigorer les voyageurs...

- Guniang, mon fils ne peut pas être soldat, il est beaucoup trop jeune, vous qui semblez avoir de l'influence pourriez vous en parler au général...

Piégés par la foule pressante, qui considéraient les nouveaux venus comme des anges tombés du ciel, il leur devenait de plus en plus difficile de progresser.
Un petit être malingre (que Qing Yu Yan reconnu comme étant le Xia), leur fit un aimable signe de la main, les invitant à échapper à la cohue par un chemin dérobé

Voyant l'arrivée de la foule, Lu Wu se dit que finalement il aurait mieux valut ne pas être trop protocolaire. Comme par réflexe, il se plaça près de sa patronne avant de la pousser vers la seule sortie possible. Toutefois, il ne faisait nullement confiance aux gens dans cette forteresse alors il était hors de question de la laisser seul avec ce samaritain

Xiao Yu était à la fois soulagée qu'on leur ait attribué un bâtiment, et étourdie par le trop plein d'attention qu'elle recevait, et auquel elle n'était plus habituée. Tout ce voyage, cette semi-solitude, l'avaient habituée au calme.
Sentant monter un léger accès de stress, elle dit à ses compagnons :
"– Bai Hou, Lu Wu, on reste groupés ! venez !"

Elle suivit alors Lu Wu vers ce qui semblait être une issue, tout en considérant avec méfiance leur allié providentiel, qui était probablement intéressé. Mais par quoi ? Il allait falloir le découvrir.

Une fois sortie de la tourmente, elle reprit son souffle et vérifia que ses compagnons allaient bien, avant de se tourner vers leur "sauveur".

"– Qui devons-nous remercier ?"

Elle afficha un sourire diplomatique sur son visage : le genre de sourire aimable mais absolument dénué de chaleur qu'elle réservait aux inconnus avec qui il fallait être poli.