Chronique n°1 : Cendres et poussière (Cycle de la Terre)

- Oh... dis-je simplement en réponse à sa recette.

J'avale encore quelques bouchées.

- Je ne connaissais pas, en fait. Je m'aperçois que je ne connais rien, en fait, de ce qui fait le quotidien de tout un chacun. Il est facile de se croire serein quand.. Oh pardon, je pense à haute voix. Je suis Xiao Guang, je n'ai pas de nom de famille, aussi n'hésitez pas à m'appeler par mon prénom, cela ne me dérange pas le moins du monde...

- Xiao Guang, c'est joli... Le monde est plein de choses inconnues, une surprise pour chaque jour.

La suite du repas arriva et Yu Yan demanda :

- Et qu'avez-vous l'intention de faire ici ? Le greffier à l'entrée nous a dit que tout le monde devait exercer une activité pour la communauté. Zheng Hua est intéressée par la milice, moi je ne sais pas trop si mes talents trouveront une quelconque utilité ici... Je suppose qu'on a toujours besoin d'une guérisseuse dans une ville sous tension.

Avant de goûter le second plat, je réponds à la jeune femme :

- J'imagine que le corps à besoin de soins de multiple sortes. S'il est blessé, le médecin agit. S'il est fatigué et tendu, l'amour agit... Vous devriez pouvoir trouver assez de fous, ici, dis-je avec un petit sourire, avant de faire une moue : même s'ils seront sans doute moins généreux que là où vous étiez avant.

Si le second plat est bien meilleur encore que l'entrée, l'effet de surprise a disparu. Je savoure chaque bouchée, comprenant que mon estomac arrivera très bientôt à satisfaction. Rien ne servirait de se rendre malade... mais quel dommage de devoir me priver du reste parce que je n'ai plus faim ! Je fronce alors les sourcils intérieurement : profiter des choses avec excès est une mauvaise chose. Cela ne fait que désiquilibrer le corps et l'esprit. Ce plat ne mérite pas un tel chamboulement en moi, aussi bon soit-il.

Alors que j'arrive au tiers du plat, je ne touche plus au moindre aliment.

Au bout d'un moment, la danseuse s'excusa auprès de ses invités et alla voir l'homme qui la regardait avec autant d'insistance. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas parlé à un compatriote, et elle usa avec un plaisir évident de sa langue maternelle avec lui.

- Alors, grand-père, comment allez-vous ? C'est si rare pour moi de croiser des gens de la maison ! Avez-vous des nouvelles de chez nous ?

L'homme chauve et massif , arborant le costume traditionnel des nomades, avec sa large ceinture et ses bottes de cuir, avait un drôle d'allure pour un aubergiste, quand bien même sa cuisine était délicieuse.
Il offrit à Yu Yan son plus beau sourire et commença à converser avec elle dans une langue étrange dont Xiao Guang ne comprenait goutte, avec une certaine volubilité.
Zheng Hua poussa la jeune femme du coude en tournant la tête vers les deux Xia et plaisanta

- Ils sont probablement en train de discuter le prix auquel ils vont nous vendre....et la nourriture est sans doute empoisonnée...
Mais bon, j'avoue que j'ai un faible pour le mouton...

- Le quoi ?

Je regarde le plat, mi-figue mi-raisin. J'ai fauté par ignorance, dois-je m'en tenir rigueur ? Mais mon ignorance n'empêche pas que cette vie aie été otée pour me nourrir...

Il me faut voir un sage. Lui seul pourra me dire ce qu'il convient de faire, pour alléger mon âme de ce péché. Huang et Bo me manquent - eux auraient su me guider.

J'ai dans mon estomac une vie passée... Manger un être humain ne serait guère mieux...

- J'ignorais qu'il s'agissait de viande. Je... Je n'en avais jamais mangé avant...

Je suis un peu pâle soudain. Je sens une remontée de mauvais présage... Je me lève précipitemment et sors du restaurant en courant, cherchant un lieu pas trop éclairé mais c'est pas loin que mon estomac recrache ce qui pesait à ma conscience.

La réaction de Zheng Hua ne se fit pas attendre...Soupçonnant un empoisonnement, elle sort d'un rapide mouvement ses lames jumelles et hurle en direction de l'aubergiste

- Empoisonneur ! Tu vas payer pour ça !

L'homme, surprit, quitte brusquement la conversation pour se ruer à l'intérieur de ce qui lui sert d'échoppe

Tentant de me maitriser entre deux hoquets, je crie :

- Non, Zheng Hua ! Ce n'est pas ce que...

Mais un nouvel hoquet me pousse à me retourner contre le mur une nouvelle fois.

La danseuse mit quelques instants à réaliser ce qui se passait, mais n'hésita pas à s'interposer entre le Xia et la jeune femme.

- Arrête, voyons ! Nous avons tous mangé la même chose ! Pourquoi ne sommes-nous pas malades s'il y avait du poison ?

Zheng Hua était vraiment trop impétueuse, elle réfléchissait avant d'agir. Yu Yan n'était pas persuadée qu'elle serait de taille face à son compatriote, et à ses amis sûrement dissimulés parmi la clientèle du petit estaminet.

La jeune femme s'arrêta puis regardant avec méfiance les alentours, elle rangea ses armes...Un silence gênant s'était installé dans la foule, et les soldats de faction avaient commencé à apparaître.
Voyant que rien ne semblait se passer, ils reprirent leurs ronde habituelle sans plus se soucier de rien

- Je ne sais pas...On apprend rapidement à se méfier quand on est poursuivie.
Je suis désolée...C'est...

Elle rengaina ses armes sans finir sa phrase et quitta les lieux piteusement.

Confuse que les réactions de mon corps puissent susciter une telle pagaille, je rejoins Petit Renard à la table.

Yu Yan s'excusa précipitamment auprès de l'aubergiste et dit à ses invités qu'elle revenait, puis tenta de rattraper Zheng Hua dans les rues de la citadelle.

- Attends ! Hé, attends-moi ! Ce n'est pas grave, on est tous un peu sur les nerfs en ce moment. Allez, reviens avec nous... Tu ne vas pas nous laisser manger tous seuls le dessert, quand même ?

Elle lui adressa un sourire irrésistible et se planta devant elle, les yeux rieurs.

- Les Xia ne sont pas rancuniers... Surtout quand un autre Xia est là ! Allez, reviens avec nous...

- Je....Je viens de perdre toute dignité...Comment pourrais je me présenter devant cet homme que je viens de menacer ?
La première idée qui m'a traversé la tête est qu'il était malhonnête, avant même que je le connaisse. Je suis vraiment impardonnable...

- Ne t'inquiète pas pour cela. Tout le monde est sur les nerfs, avec cette guerre et cette promiscuité dans la forteresse. Je me charge de mon compatriote, viens finir ton repas avec nous. Il comprendra.

Yu Yan lui sourit et lui tendit la main. Elle n'avait pas envie de laisser Zheng Hua toute seule en dans cet endroit, c'était une compagne qui s'était montrée gentille avec elle. Il était hors de question qu'elle la laisse ainsi se morfondre.

La jeune femme suivit à contrecoeur la courtisane, le regard bas, pour éviter de croiser ceux de la foule, qui murmurait déjà quelques propos concernant l'évènement.
L'aubergiste ressorti le visage sévère, accompagné de deux autres "employés" larges d'épaule, qui s'assirent au pied de l'échoppe, en faisant mine de jouer au Xiangqi, mais qui en réalité regardait surtout dans la direction de la table des "agités".

- Dis à ton amie que nous maintenons une trève ici....et qu'elle évite d'attirer l'attention sur nous. Il nous déplairait d'avoir à employer des arguments moins civilisées pour arriver à maintenir une certaine harmonie ici... acheva l'aubergiste avec un sourire qui n'avait absolument aucun rapport avec le contenu de sa phrase, prononcé en Xia

Voyant arriver la jeune guerrière, je me lève et me précipite vers elle pour m'incliner :

- Je suis vraiment désolée de tout cela. Je... je ne mange pas de viande habituellement : pour moi, c'est comme manger de la chair humaine... Toute vie est égale et savoir que j'en avais mangé, même à mon insu, n'a pas été supportable. Je suis vraiment vraiment désolée que cela vous ait porté préjudice.

Yu Yan lui fit son plus beau sourire et s'inclina devant lui. Tout dans son attitude appelait au calme et à la courtoisie.

- Allons, ne sois pas aussi fâché, voyons... Nous avons eu des moments très pénibles, elle et moi, elle a mis sa vie en danger pour me protéger, et elle a toujours été attentive à mon bien-être. Je lui dois beaucoup. S'il te plaît, sois magnanime. Il n'est aucunement dans nos intentions de briser la trêve que vous avez instaurée. Si tu as besoin d'un service, demande-moi et je verrai ce que je peux faire pour toi.

Elle attendit qu'il réponde avant de retourner à sa place. Il fallait calmer le jeu avec eux, ce n'était pas le moment de se couper d'une source précieuse d'informations.

- Ca va....On ne va pas rester là dessus une éternité. Si vous avez besoin de quelque chose, il n'y a qu'à demander, on peut toujours s'arranger.
Un conseil, ne sortez pas hors des murs le soir. Il y a des types bizarres dehors. En nombre. Habillé de la même manière. Il rôde autours de la forteresse, mes gars les voient parfois et les gens d'ici pensent que ce sont des fantômes....Je les soupçonne d'être intervenu lors du derniers assauts des Jin, mais je ne saurais pas dire de quel coté...

Zheng Hua regardait Xiao Guang avec une mou d'incompréhension

- On est toujours responsables de ses actes, je crois...Tu n'es responsable de rien. C'est moi et moi seule qui ait agit sottement.
On sentait pour autant qu'elle n'avait jamais cessé de se méfier de l'aubergiste Xia, qui la regardait de temps à autre avec un air qui en disait long sur leur confiance réciproque....

Je ne dis rien, retournant à la table. Je me penche vers Xiao Hu Li :

- Et si tu nous faisais une petite démonstration ? ça détendrait l'atmosphère, sans doute...

La courtisane le regarda, étonnée d'une telle information. En général, pendant une bataille, on savait qui était avec qui plus ou moins rapidement. Mais là, l'aubergiste pensait que ce groupe avait provoqué des pertes des deux côtés. Voilà qui n'était pas commun. Elle décida d'en faire part à Zheng Hua, qui semblait en connaître un bout sur les groupuscules clandestins de la région.

Profitant de la diversion offerte par le spectacle de Petit Renard, elle revint s'asseoir près d'elle et lui glissa à l'oreille, alors que l'attention générale était tournée vers les cabrioles de l'enfant :

- Dis-moi, j'ai appris de drôles de choses en discutant avec mon compatriote... Il nous a déconseillé de sortir après la tombée du jour. Il paraît qu'il y a beaucoup de gens qui rôdent en dehors des murs de la forteresse la nuit, et que les gens d'ici pensent que ce sont des fantômes...

Elle frissonna et jeta un regard inquiet autour d'elle.

- Je n'aime pas les fantômes...

- Les gens sont souvent les mieux placés pour inventer des histoires plus terrifiantes qu'elles ne sont en réalité... fit Zheng Hua, sans conviction.
Les superstitions populaires avait la vie tenace sur les chemins de Chine, et les endroits ayant connus des drames aussi importants que ceux de Tian Chi étaient très susceptibles d'héberger ce genre de créatures surnaturelles.
Pour autant que la jeune femme tentait de se rassurer elle même, l'idée ne quitta pas véritablement son esprit...

- Lorsque nous opérions avec mon groupe, nous faisions également en sorte de passer pour des revenants, en disparaissant rapidement sans laisser de trace et en agissant dans l'ombre. En général, on le fait lorsque le nombre de combattants est réduit...Mais le fait qu'il s'en prennent au deux camps est étrange, à moins que nous ne nous trouvions sur un territoire qui leur appartient...
On peut toujours grimper sur les remparts, pour voir si on aperçoit un de ces fameux spectres...Crois moi, si c'est un bonhomme, je le repérerais au premier coup d'œil...

Alors qu'une longue file de réfugiait affluait sur la forteresse Tian Chi, un cavalier armé d'une lance à la la chevelure argenté se détacha du groupe. Derrière lui, une femme à la robe et aux cheveux blanc. Alors qu'il se rapprochait, le cavalier appela les gardes de la porte.

"SOLDAT ! JE DOIS PARLER AU RESPONSABLE DE LA FORTERESSE LE PLUS VITE POSSIBLE"

Le soir tombait lorsque le cavalier approchait des alentours de Tian Chi.
A son arrivée, les arcs des tours se tendirent d'un seul homme. En haut de la porte, sur la tourelle surplombant le massif double-battant, un visage rougeaud, mangé par une large barbe et un casque doré retint les tirs d'un geste de main et hurla à l'égard de Ma

- Ne t'a t'on jamais appris à te présenter, cavalier ? Saches que la forteresse de Tian Cho est en état de siège et que le général Wang ne reçoit pas sans raison...